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Le Blog de Derek Madox
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25 septembre 2009

NELLY ARCAN (1973 - 2009)

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Photo: Jacques Grenier

Une nouvelle m’a troublé aujourd’hui.  L’écrivaine Nelly Arcan a été trouvé morte dans son appartement hier.  On parle de suicide.  Cette nouvelle me rentre dedans carrément.  Ça me glace le sang, car 2 jours avant je la croisais sur une rue du Plateau Mont-Royal.  Elle semblait en forme.  Ça m’avait fait plaisir de la croiser enfin en personne, moi qui la connaissais intimement à travers ses livres (et probablement plus profondément que certaines personnes que je côtoie.)   J’ai eu un sentiment de satisfaction de la voir enfin de mes propres yeux.  Le sentiment d’avoir un tout petit peu démystifié cette femme énigmatique le temps d’un regard.  Son dernier livre, « Paradis, clef en main » une sorte d’hymne a la vie qui traite du droit au suicide (mais qui se positionne contre le suicide à ce qui paraît) sortira sous peu.  Décidément, le mystère de cette femme demeurera.

En lisant les écrits de Nelly Arcan, on a l’impression que la mort l’avait prévenu il y a longtemps.  On a l’impression que cette fameuse quête de perfection et de jeunesse éternelle au cœur de toutes ses œuvres était un immense crachat à la gueule de la mort elle-même.  Malheureusement, elle a finit par perdre son combat acharné, probablement bouffé par ses trop grandes aspirations.  On ne devient jamais plus grand que la mort, bien qu’on le voudrait tous.  Ne pas accepter cette idée, c'est vivre enchaîné.  Le suicide lui est apparu comme l’ultime moyen, au-delà des mots, de nous exprimer l’atrocité de sa douleur.  L'unique moyen de remporter la bataille.  Événement climaxique digne de la tragédie et du romanesque, elle a vécu par ce langage corsé, et s’est enlevé la vie par ce même langage, peut-être le seul moyen pour elle de marquer les esprits rapidement et d’accéder à l’immortalité absolue qu’elle chérissait tant.  Celle des poètes suicidés, celle de Dédé Fortin, celle de Tchaïkovski.

 

J’essaie désespérément de trouver des réponses à tout ça depuis que j’ai appris la nouvelle.  Ça me bouleverse, ça m’obsède.  Malheureusement, aucun de nous ne trouvera la vérité vraie sur ce qui l’a poussé à faire ça.  C’est d’autant plus troublant.  Il y a sûrement quelques indices dans ses livres.  Il semblerait que son monde intérieur cauchemardesque a pris le dessus sur la réalité.  C'est triste qu'elle n'ait pu trouver un moyen de le contre-balancer.   

 

Je ne m’en cacherai pas, j’ai eu envie de la sauver cette femme.  Ces livres autofictionnels étaient sombres, difficiles à lire, mais ils donnaient envie d’adoucir le regard parfois trop pointilleux que l’on porte sur ces femmes prisonnière du joug de l’apparence.  Sa détresse psychologique face à la dictature de l’image au féminin m’a toujours profondément touché.  J’ai toujours ressenti une immense empathie pour cette femme.  Peut-être y a-t-il une part de féminin en moi qui se sent concerné par ses questionnements, ses doutes (très universels et humains finalement).  En fermant chacun de ses bouquins, il y avait toujours chez moi cette envie de la croiser dans la rue et de lui dire qu’elle n’était aucunement monstrueuse.  Cette envie de lui dire qu’elle était magnifique avec ses défauts, de lui dire que tout irait bien, qu’elle n’avait rien à craindre du regard masculin, qu’il y avait une proportion très élevé d’hommes pour qui le désir n’était aucunement lié à la perfection du corps féminin.  Quand je pense que je l’ai véritablement croisé deux jours avant sa mort, ça me fout les jetons.  Évidemment, je n’ai pas eu le cran de m’adresser à elle, de lui dire ce que j’avais envie de lui partager.  Elle aurait probablement été aussi sévère avec moi qu’elle l’était avec elle-même.  Il faut dire que l’image me paralyse moi aussi.  J’ai continué mon chemin, de peur de ne pas lui apparaître assez intelligent et pertinent, de peur d’avoir l’air d’un fanatique.  De toute façon, elle savait probablement toutes ces choses, ayant été aimé abondamment de toute évidence.     

À une époque, je m’étais lancé dans une quête désespérée.  Je voulais comprendre les femmes, leur folie, leurs angoisses.  C’est dans cette période que j’ai découvert les livres de Nelly Arcan, « Putain » et « Folle ».  Je ne comprenais pas comment des filles absolument extraordinaires pouvaient se mutiler psychologiquement.  Je voulais savoir pourquoi elles pouvaient être si instables, si confuses.  En même temps, peut-être voulais-je savoir ce qui m’attirait autant chez ce type de femme, la raison qui me poussait à vouloir les sauver?  Était-ce ma propre folie que je voyais en elle et que je voulais comprendre? 

Son livre « Folle » m’a accompagné durant un périple solitaire à Tadoussac où je voulais faire le point sur ma vie après une rupture douloureuse.  J’ai monté ma tente face au fleuve tout en haut d’une dune de sable.  C’est là, dans cette intimité particulière, que j’ai terminé le livre au moment symbolique des derniers rayons du soleil.  J’ai eu, pour la première fois de ma vie, l’impression profonde de réellement partager un moment d’intimité avec une auteure.  Ce genre d’intimité qui permet d’entrer en contact avec soi-même et son passé.  J’ai eu l’impression, en lisant « Folle » de lire le journal intime de toutes les femmes que j’ai connues et qui m’en ont fait baver, principalement celles qui, comme Nelly, se sentent opprimé par leur propre image et la pression exercé par le regard des autres.  J’ai surtout compris que cette oppression était aussi la mienne.  Ma relation empathique avec l’œuvre de Nelly Arcan prend ainsi tout son sens.  Je ne suis pas très préoccupé par la taille de mes seins évidemment, mais j’accorde beaucoup d’importance à la manière dont je me comporte. Ce qui peut être aussi très asphyxiant.  Ce rapport à l’image que j’entretien d’une manière malsaine est probablement le plus grand des démons qu’il me reste à mater.  Le fait d’évoluer dans le monde égoïste de la photographie, du cinéma, et de la création ne m’aide certainement pas à me désintéresser de ma propre image.  Et Nelly Arcan vivait probablement un grand paradoxe de ce genre.  Elle était paralysée par le monde des images tout en étant l’une de ses plus grandes représentantes.  Elle n’évoluait peut-être pas dans le bon univers.  Mais avait-elle le choix?  Son écriture l’a aidé à survivre aux assauts de la vie, mais son immense talent l’a trahie en faisant d’elle une célébrité, l’exposant dans toute sa fragilité aux yeux de tous. C’est là toute la tragédie, celle de l’artiste qui doit se faire pute. 

Bien sûr, il faut absolument lire toute l’œuvre de Nelly Arcan.  C’est d’une absolue nécessité.  Et ce, malgré la noirceur de son regard et la choquante lucidité de ses observations.  Elle va parfois un peu loin, mais il s’agit d’un cri du cœur qu’il ne faut pas négliger.  On en sort complètement bouleversé, mais on se prend à rêver qu’avec le temps, à force de fréquenter des gens au regard vrai, au regard bon, ces femmes angoissés lâcheront du leste et finiront par se sentir un peu plus libre.  Quand je sors d’un livre d’Arcan, j’ai l’envie irrépressible d’adoucir la sévérité de mon regard face aux autres, mais aussi face à moi-même.  Ce qui n’est pas rien.  J’ai cette envie d’être un type vrai, un type bon pour ces femmes absolument extraordinaires que j’ai aimé, et que je vais aimer… mais aussi pour cet homme parfois apeuré que je suis.  Un jour, peut-être que l’angoisse ne pèsera plus autant.

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« La mort frappe parfois sans prévenir. La mort inopinée, qui surprend, est souvent incroyable, au sens propre du terme: on ne la réalise pas, on n'y croit pas, car rien ne nous y préparait. On en reste bouche bée (...) ». - Nelly Arcan, un mois avant son décès dans sa chronique du journal ICI le 26 aout.  Elle réagissait à la mort du poète Réjean Thomas.    

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Commentaires
K
en plus on le voit gros comme le bras sur son expression faciale: "je suis pas bien ici, au secours"!<br /> <br /> très intense comme douleur.
M
Bravo Mathieu! Ce texte est vraiment superbe et touchant. Je ne connaissais pas tes talents d'écriture. Continue à écrire, c'est un plaisir de te lire.
A
Tu es touchant, Mathieu. J'apprécierai toujours cette sensibilité qu'est la tienne.
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